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Danemark, un modèle européen de développement durable

Parc éolien offshore dans la mer Baltique, au large de Copenhague.

Green Innovation. Le Danemark est aujourd’hui le pays le plus avancé au monde en matière de transition énergétique. Comment expliquez-vous un tel succès ?
Kirsten Malling Biering. Le fait que le Danemark soit un des pays leaders en matière de transition énergétique est le résultat d’une politique cohérente et ambitieuse qui a été menée au cours des quatre dernières décennies.
Le processus de transition vers une politique énergétique qui met au premier plan les principes d’efficacité et rationalité a commencé dans les années suivant la crise du pétrole de 1973. À cette époque, l’importation de pétrole assurait 95 % des sources d’énergie du pays. 
Ce premier choc pétrolier, qui a fortement touché le Danemark, a représenté un tournant pour le pays. Il a marqué le début d’efforts importants vers une diversification du bouquet énergétique qui avait comme objectif de remplacer progressivement l’usage des énergies fossiles et nucléaires par un recours massif aux énergies renouvelables. En 1980 déjà, le Danemark était considéré comme le leader mondial en matière de développement de nouvelles technologies et solutions durables et comme un vrai laboratoire d’un futur énergétique plus vert. Nous avons su développer un réseau de chaleur qui couvre aujourd’hui près de 65 % des besoins en eau chaude et en chauffage des logements au Danemark et qui permet d’une manière formidable d’intégrer les sources locales d’énergie, dont 60 % sont des sources d’énergie renouvelable.
Le Danemark a également su créer un réseau électrique stable, et cela malgré des sources d’énergie intermittentes. À mon avis, la clef du succès réside dans notre savoir-faire dans la gestion de l’équilibre entre l’offre et la demande, dans un fort sens de planification et dans une perception holistique qu’il faut avoir pour réussir une production énergétique décentralisée. 
À ces facteurs s’ajoute une forte sensibilité aux enjeux environnementaux qui caractérise l’approche danoise dans plusieurs domaines, au-delà du secteur énergétique. Aujourd’hui, l’ambition danoise en matière de transition écologique reste forte, et se concrétise dans l’objectif de devenir entièrement indépendant du charbon, du pétrole et du gaz d’ici à 2050.

Cette dynamique vertueuse en matière de développement durable et d’énergies renouvelables est-elle soutenue par la population ? Existe-t-il un consensus politique transpartisan sur ces questions au Danemark ?
Oui, on peut effectivement dire qu’il existe un consensus transpartisan sur les grandes lignes directrices et sur la nécessité de continuer à développer le secteur des énergies renouvelables. En effet, la stratégie énergétique de 2012, qui fixe l’objectif de 100 % d’énergies renouvelables à l’horizon 2050, fut le résultat d’un très large accord parmi plusieurs partis de différents horizons politiques. La présence d’un large consensus politique est un facteur essentiel pour les investisseurs dans le domaine de l’énergie. Il permet de minimiser les risques et de dessiner un cadre stable et propice à l’investissement au soutien des énergies renouvelables à long terme. Cependant, il y a parfois des désaccords sur le parcours à suivre et sur le niveau de dépense publique auquel nous sommes prêts à nous engager pour atteindre ces objectifs. On peut notamment s’attendre à ce que des points de désaccord émergent lors des négociations sur la prochaine stratégie énergétique 2020–2030, qui va remplacer celle approuvée en 2012. Mais, au-delà de ces débats, que l’on voit souvent sur la scène politique d’un pays démocratique, il n’y a pas de remise en cause de la ligne directrice à suivre ni de l’objectif final à atteindre dans la durée. Les Danois ont toujours été très sensibles aux enjeux liés à la durabilité et il y a une forte conscience écologique parmi la population. De plus, bien qu’une transition énergétique ambitieuse comporte une dépense publique importante, elle apporte des bénéfices pour un grand nombre d’entreprises danoises spécialisées dans le domaine des technologies vertes. Une des clefs du succès de cette politique de transition réside donc dans sa vocation à poursuivre un triple objectif : autonomie énergétique, durabilité et croissance économique du secteur cleantech.

Bien que le Danemark ne soit pas connu pour être le pays le plus ensoleillé de la planète, il est pourtant devenu un leader mondial pour les centrales solaires thermiques géantes. Comment expliquer ce paradoxe ?
C’est vrai que le Danemark n’est pas un pays avec un climat méditerranéen. Mais cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de soleil. Au contraire, le soleil brille plus de 1 800 heures par an. C’est loin des 2 700 heures enregistrées à Nice, mais c’est quand même à peu près le même nombre d’heures qu’à Paris. Cela veut dire qu’il y a un potentiel à exploiter si on a une technologie efficace. Votre question rappelle ce que je disais auparavant. Le savoir-faire danois en matière de réseau de chaleur est reconnu partout dans le monde. L’intégration du solaire thermique dans nos réseaux de chaleur fait donc partie de notre effort de diversification des sources d’énergies renouvelables. Les entreprises danoises qui ont contribué à ce développement au Danemark ainsi qu’à l’étranger sont Arcon-Sunmark et Aalborg CSP. Le développement de réservoirs de stockage d’eau chaude permet également de prolonger l’utilisation de la production de chaleur durant plusieurs mois, permettant couvrir les mois d’hiver peu ensoleillés.

Le Danemark va prochainement mettre en place, dans la mer Baltique, le premier super-réseau éolien offshore mondial. Pouvez-nous nous préciser quels sont les tenants et les aboutissements de ce projet dénommé « Kriegers Flak » ?
Le projet de Kriegers Flak, avec une capacité totale prévue de 1 600 MW, s’insère dans le cadre de l’objectif de 100 % d’énergies renouvelables au Danemark à l’horizon 2050. L’objectif à plus court terme – 2020 – est que 50 % de la consommation en électricité provienne de l’électricité produite par les éoliennes. En 2017, ce chiffre était de 43 % et le projet Krigers Flak, ainsi que d’autres projets en cours, devrait nous permettre d’atteindre largement l’objectif 2020. Cela en sachant que l’installation de nombreux centres de données (Facebook, Google, Apple) au Danemark va augmenter les besoins en électricité du pays. Mais Kriegers Flak représente aussi une étape dans le projet de développement du réseau électrique transeuropéen qui va permettre de gérer de façon holistique et dynamique les capacités électriques des pays européens. Le réseau énergétique danois fut relié au suédois en 1915, puis aux réseaux norvégien et allemand. La prochaine étape sera probablement une connexion vers la Grande-Bretagne et les Pays-Bas. Le développement des « super-réseaux » énergétiques et le marché international permettent de développer les énergies renouvelables à plus grande échelle et de garantir la stabilité énergétique de l’ensemble du réseau grâce à un approvisionnement provenant de nombreuses sources et de nombreuses zones géographiques. Il y a aujourd’hui en Europe une forte volonté d’avancer sur la voie des énergies renouvelables. La coopération entre les pays européens pour le développement d’un réseau électrique européen de qualité jouera un rôle central pour atteindre ces objectifs de durabilité énergétique.

Chaque année, de nombreuses délégations étrangères venues des quatre coins du monde se rendent à Copenhague pour étudier la manière dont la capitale danoise gère ses pistes cyclables, son système de chauffage urbain ou encore ses déchets. Pensez-vous que cette ville puisse, à terme, constituer un modèle de développement urbain pour l’Europe ?
La ville de Copenhague a traversé une transformation importante depuis les années 1980, quand elle a été touchée par la récession et a dû faire face à une réelle fuite de ses habitants. Elle a depuis su mettre l’humain au centre et, maintenant, tout le monde veut y habiter – et parmi eux beaucoup de Français. Ce que Copenhague a réussi, beaucoup de villes peuvent le réussir en transformant les défis en opportunités. Copenhague n’a pas seulement su résoudre des problèmes, mais a su avoir une vision politique – et une vision forte qui continue à guider le développement de la ville. On souhaite une ville qui rassemble et qui aide au rapprochement des gens. Une architecture pure avec beaucoup de transparence et un planning urbain avec des espaces ouverts et verts et peu de clôtures invitent au dialogue et aux rencontres. Copenhague continue à penser la ville et ses aspects environnementaux d’une manière très holistique. Et ce, notamment quand on parle de solutions et besoins liés aux transports où la place donnée aux vélos dans et autour de Copenhague souligne un renversement de la domination du véhicule que l’on connaît dans d’autres capitales.
Le travail que Copenhague a réalisé et continue à accomplir autour de l’eau est également formidable. Je peux mentionner que l’on se baigne dans le port de Copenhague, et cela depuis plusieurs années, mais Copenhague parvient également à transformer des traumatismes liés aux inondations pluviales de la ville en opportunités pour la transformer et faire du retrofitting, notamment par le biais des voieries, parcs, aires de loisirs, toitures et cours intérieures qui deviennent des zones de rétention d’eau et des oasis vertes pour la ville et ses habitants. Mais, pour répondre de manière concise à votre question, ma réponse est oui, et je pense que Copenhague et les architectes, les urbanistes et les technologies danois inspirent déjà beaucoup de villes européennes. Pourtant, la ville de Copenhague continue elle-même également à s’inspirer de ce qui fonctionne ailleurs, et je pense que c’est cela, être une ville intelligente.

Entretien réalisé par Alexis Bautzmann

À propos de l'auteur

Kirsten Malling Biering

Ambassadeur du Danemark en France (depuis 2015), précédemment ambassadeur du Danemark en Suède, aux Pays-Bas et en Lettonie.

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