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Uranium : des ressources suffisantes pour l’avenir ?

L’examen des ressources actuelles, à la lumière de l’histoire des découvertes passées comme de l’évolution des techniques, montre que l’énergie nucléaire possède les ressources nécessaires pour son fonctionnement durant le siècle à venir, même si on double le nombre des réacteurs en service. Au-delà, il sera prudent d’utiliser la technique des réacteurs à neutrons rapides qui multiplie les ressources par un facteur compris entre 50 et 100. L’énergie nucléaire deviendra alors une énergie durable, au même titre que les énergies renouvelables.

L’uranium dans les roches et les minéraux

L’oxyde d’uranium est le combustible de la majorité des 437 réacteurs nucléaires actuellement en service dans le monde. On trouve l’uranium dans la nature sous deux formes : l’uranium 238, qui en constitue la majeure partie (99,3 %), et l’uranium 235, qui est le seul isotope fissile, et en est une faible part (0,7 %). Dans les réacteurs actuels (à eau légère, qu’elle soit pressurisée ou bouillante), cette teneur n’est pas suffisante pour entretenir la réaction nucléaire, c’est pourquoi l’uranium 235 est enrichi à une teneur de l’ordre de 4 %.

L’uranium est un élément que ses propriétés géochimiques conduisent à se concentrer dans la croûte continentale supérieure, après une extraction du manteau souvent très précoce dans l’histoire de la Terre. On le trouvera ainsi naturellement dans les roches évoluées, comme les granites, et les roches volcaniques acides, alors que dans les autres réservoirs – roches basiques des fonds océaniques ou du manteau –, il sera présent à des teneurs beaucoup plus faibles.

Les granites et roches volcaniques acides (riches en silice) contiennent en moyenne 4 grammes d’uranium par tonne. Mais les granites très évolués et spécialisés en uranium en renferment beaucoup plus, de 15 à 30 g/t, alors que cette proportion ne dépasse pas 0,1g/t dans les basaltes des rides océaniques et est souvent beaucoup moins élevée encore dans les roches du manteau.

Les teneurs en uranium de ces roches magmatiques n’en permettent généralement pas une récupération économique. Il existe cependant des exceptions, dont une notoire, le gisement de Rössing en Namibie (250 000 tonnes à 300 g/t).

Mais les roches acides sont avant tout des sources d’uranium qui seront affectées par des processus plus superficiels comme l’hydrothermalisme ou les processus d’altération en surface, et qui libéreront l’uranium dans les eaux percolantes et favoriseront son dépôt dans des pièges d’oxydoréduction. En effet, la particularité fondamentale de l’uranium est sa présence sous deux états d’oxydation : l’un qui est celui de l’uranium dans les minéraux et l’autre, plus oxydé, qui est le plus souvent celui de l’uranium en solution.

Ces processus naturels de concentration se produisent à des interfaces d’oxydoréduction aussi bien dans les socles cristallins que dans les bassins sédimentaires. Ils conduisent à des gisements dont la teneur va de l’ordre du kilogramme à parfois plus de cent kilogrammes par tonne de minerai, et ce sont ces roches qui permettent une récupération industrielle économique de l’uranium.

Où se trouvent les gisements d’uranium ?

Les gisements d’uranium se répartissent dans divers environnements : granites ayant subi des concentrations magmatiques tardives, filons hydrothermaux, environnements sédimentaires (grès, schistes), dépôts superficiels, etc.

Comme ces sources (granites et roches acides apparentées) sont relativement communes sur terre, il s’ensuit que les gisements d’uranium sont assez bien répartis à la surface du globe. Ils se distinguent ainsi des ressources pétrolières qui sont plutôt concentrées dans certaines régions.

On trouve des gisements d’uranium dans les roches profondes, en Namibie (granites), au Groenland, dans les processus hydrothermaux liés soit aux granites ou aux volcanites (en Australie, en Russie, et autrefois en Saxe-Bohême et en France), soit à l’évolution des bassins sédimentaires au Canada et en Australie, dans les grès au Kazakhstan (premier producteur mondial actuellement), au Niger, aux États-Unis, en Afrique du Sud, etc.

Le plus souvent, les gisements sont regroupés à l’intérieur de provinces : la conjonction de sources riches en radio-éléments et de processus concentrateurs a permis la genèse de nombreux gisements dans une même région.

Quelles sont les réserves actuelles d’uranium ?

Lorsqu’on évoque les réserves en uranium, on doit intégrer l’aspect économique. En effet, les gisements d’uranium s’inscrivent très souvent dans des volumes dont les limites avec les roches environnantes ne sont pas tranchées, mais montrent une baisse progressive de la concentration en métal uranium. Plus le volume exploité sera grand, plus la teneur moyenne en uranium sera faible, et plus le coût de son extraction sera élevé. Cela signifie que l’intérêt économique d’exploiter les réserves d’un gisement dépend étroitement du prix de vente du métal à un moment donné. Le mineur ne connaît en effet que deux catégories de roches : le minerai et le stérile. Et la teneur de coupure qui fait passer une roche de la catégorie « minerai » à la catégorie « stérile » n’est pas géologique, mais économique. Cela a des conséquences importantes sur le montant des ressources en uranium : ces ressources n’ont pas de limites physiques, mais des limites économiques.

Compte tenu du fait que le prix de la matière première – l’uranium naturel – n’entre que pour 5 % dans le prix du kilowattheure, on voit aisément que le prix de l’uranium peut s’élever sans affecter considérablement le prix du produit final : l’électricité.

Actuellement, les réserves d’uranium prouvées grâce à des reconnaissances par sondages, et exploitables à moins de 130 dollars/kg de métal sont de cinq millions de tonnes, et s’élèvent à sept millions de tonnes si le prix passe à 260 USD/kg. Ces valeurs incorporent cependant les extensions des gisements actuels, pour lesquels les reconnaissances ne sont pas achevées.

Les ressources supplémentaires estimées, c’est-à-dire celles qui ne sont pas encore découvertes, mais que le raisonnement géologique permet de considérer comme plausibles, sont d’une dizaine de millions de tonnes. Ce qui fait un total de 15 à 17 millions de tonnes.

La valeur de 130 dollars/kg d’uranium est intéressante, car elle est proche de celle du marché à long terme actuel.

À ce chiffre, il faut ajouter des ressources plus exotiques, mais qui sont de plus en plus prises en compte en raison de l’évolution des procédés de traitement, comme les phosphates et les schistes noirs, dont les réserves pourraient atteindre des valeurs comprises entre 15 et 25 millions de tonnes. Dans le premier cas, la production d’uranium est liée à celle de l’élément pour lequel la mine a été ouverte : le phosphate, l’or en Afrique du Sud, le cuivre en Australie, et l’uranium est extrait comme sous-produit. Dans ce cas, on ne peut pas augmenter sa production comme dans une mine d’uranium puisque elle est liée à l’exploitation du produit principal. Il n’en reste pas moins que la plus grande mine d’uranium du monde, Olympic Dam en Australie (3 300 tonnes extraites en 2012), est d’abord une mine de cuivre…

Les ressources en uranium sont-elles en adéquation avec les besoins ?

La consommation d’uranium a été, en 2012, de 64 000 tonnes. La production, de 58 000 tonnes cette même année, a été complétée par des sources secondaires : baisse des stocks commerciaux, conversion des stocks de matières militaires, uranium issu du retraitement des combustibles usés. Mais les deux premières sources secondaires se tarissent et de nombreux projets de mise en exploitation de gisements inventoriés sont à l’œuvre. Ceux-ci ont souffert de la baisse des prix du métal pendant une longue période, et cela a freiné le lancement de projets miniers.

Le parc mondial des réacteurs en activité va nécessiter environ 2 millions de tonnes jusqu’à sa fin de vie. Les réserves en uranium sont donc très largement supérieures aux besoins du parc nucléaire actuel, car les ressources identifiées permettent l’approvisionnement de la flotte mondiale de réacteurs pendant plus d’un siècle. Mais si l’énergie nucléaire devait se développer fortement, il faudrait ouvrir de nouvelles mines. Ainsi, selon les scénarios, les besoins annuels en 2035 pourraient s’établir entre 100 000 et 135 000 tonnes.

La mise en exploitation de nouveaux gisements nécessite des investissements lourds, qui sont gênés par la fluctuation des cours du métal. Ainsi, les prix très bas de l’uranium durant les années 1980, 1990 et 2000 ont entraîné une quasi-disparition de la prospection pendant plus de vingt années et la fermeture de certaines mines. À partir de 2005, la hausse des cours de l’uranium, consécutive à une croissance rapide de ceux du pétrole, a conduit à une forte augmentation des dépenses d’exploration au niveau mondial. Cependant, depuis 2008, la crise financière a stabilisé les cours du pétrole et engendré une baisse importante de ceux de l’uranium.

Il faut noter enfin que la diversité des modes de formation des gisements d’uranium, comme celle des environnements géologiques, n’a pas encore permis aux géologues de développer une méthode fiable pour évaluer les ressources ultimes en uranium de la planète. Cela diffère notablement des ressources pétrolières, où l’étude des grands bassins sédimentaires a permis de réaliser ce travail avec un certain succès. De fait, il n’est pas certain que le terme de « ressources ultimes » ait un sens pour les minerais métalliques…

L’uranium 238, combustible des réacteurs à neutrons rapides

Les réacteurs de fission actuels à eau légère (de deuxième et troisième générations) ne brûlent que l’uranium 235, et un peu de plutonium formé comme sous-produit de la fission. Cela signifie que l’uranium 238, qui forme 99 % de la masse de l’uranium naturel, est inutilisé dans ces réacteurs.

Or il existe une possibilité de brûler la totalité de l’uranium : c’est l’utilisation des réacteurs à neutrons rapides (de quatrième génération). Les réacteurs à neutrons rapides, du type Phénix ou Superphénix en France, ou BN 600 et BN 800 en Russie, ont la particularité, après leur démarrage, de brûler l’uranium 238.

En effet, sous l’effet du bombardement par les neutrons rapides, l’uranium 238 capture un neutron et, après une série de réactions, se transforme en plutonium 239, qui est fissile. Ce dernier devient le combustible du réacteur. On gagne donc, en théorie, un facteur 100 dans l’utilisation du combustible et on brûle, en prime, une bonne partie des déchets des combustibles usés des réacteurs à eau légère actuels.

Compte tenu des réserves gigantesques d’uranium appauvri (les rejets de l’enrichissement en uranium 235 par diffusion gazeuse ou centrifugation), le monde se trouve à la tête d’une réserve colossale de combustible (deux millions de tonnes). La France, elle-même, possède aujourd’hui un stock d’environ 250 000 tonnes d’uranium appauvri, ce qui lui permettrait de produire de l’électricité, selon la demande actuelle, pendant deux mille à trois mille ans. Avec de telles perspectives, l’énergie nucléaire n’est-elle pas aussi pérenne qu’une énergie renouvelable ?

Si le nucléaire devait se développer fortement, en particulier pour lutter contre le réchauffement climatique, il serait avisé de recourir aux réacteurs à neutrons rapides.

Le thorium, un autre combustible nucléaire

On peut aussi faire fonctionner un réacteur nucléaire avec du thorium. Le déploiement de réacteurs brûlant du thorium repose cependant sur le fonctionnement des réacteurs actuels, car le thorium lui-même n’est pas fissile. Il faut d’abord le transformer en uranium 233, qui est fissile, et on ne peut le produire au départ que dans des réacteurs à uranium. Les recherches pour l’utilisation du thorium comme combustible nucléaire n’ont pas été importantes à ce jour, mais elles se développent en Inde et en Chine, et une veille est assurée en France, au CNRS en particulier. En effet, les ressources en uranium sont telles qu’elles suffisent actuellement à l’industrie nucléaire. Mais il est clair qu’en cas de besoin le thorium pourrait contribuer grandement à l’approvisionnement énergétique de la planète. Une caractéristique intéressante des réacteurs au thorium est que les résidus produits ne contiennent pas d’actinides mineurs et ne produisent pas de plutonium, ce qui est un avantage dans la gestion à long terme des déchets.

Le thorium présente deux caractéristiques aux conséquences antagonistes. Il est plus abondant que l’uranium sur terre : il y en a environ quatre fois plus. Mais, sa solubilité, beaucoup plus faible, entraîne une mobilité moindre, et une incapacité d’enrichissement par les procédés hydrothermaux ou superficiels. Si de nombreux gisements sont connus, l’évaluation des ressources en thorium de la planète reste moins précise que celles en uranium. Elles sont estimées, actuellement, à sept millions de tonnes. Des stocks importants de thorium résultant en particulier de l’exploitation des terres rares, auxquelles il est généralement associé, existent déjà dans le monde.

L’uranium de l’eau de mer : une ressource future ou un mirage ?

L’eau de mer contient environ trois milligrammes d’uranium par mètre cube, ce qui conduit à un stock de plus de quatre milliards de tonnes d’uranium. Si cet uranium était récupérable, il pourrait alimenter les réacteurs nucléaires pendant des milliers d’années.

Malheureusement, la technologie d’extraction de l’uranium de l’eau de mer est complexe et très coûteuse. Si elle a pu être réalisée à l’échelle du laboratoire, le passage à l’échelle industrielle pose des problèmes gigantesques, compte tenu de l’extrême faiblesse de la concentration. Ainsi, pour produire mille tonnes d’uranium par an, ce qui est le cas d’un bon gisement, il faudrait construire une installation capable de traiter dix milliards de mètres cubes d’eau de mer chaque jour… Le pompage de l’eau est exclu, car l’énergie nécessitée  représenterait une fraction trop élevée de celle produite par l’uranium récupéré…

Les recherches actuelles se focalisent sur des procédés de concentration de l’uranium par adsorption sur des surfaces. Il faut trouver des substances susceptibles d’adsorber suffisamment l’uranium pour ne pas nécessiter des tonnages trop considérables d’adsorbant.

Aujourd’hui, il paraît clair que l’extraction de l’uranium de l’eau de mer demandera encore de longues recherches, et des sauts technologiques seront sûrement nécessaires avant de déboucher sur une éventuelle application industrielle. Cette option ne pourrait se développer qu’en cas de pénurie des matières fissiles et fertiles à terre. Or cette pénurie n’est pas en vue à l’heure actuelle.

Ayons foi dans les progrès de la technique

Nous comprenons maintenant, au terme de cette revue, que les ressources en matière fissile pour fabriquer le combustible des réacteurs nucléaires seront disponibles pendant une longue période, que nous sommes loin d’avoir exploité toutes les ressources connues et qu’enfin il reste encore beaucoup d’uranium à découvrir.

Mais nous tenons à faire deux remarques supplémentaires concernant l’exploration et l’exploitation minières.

L’uranium est un métal jeune qui est sous-exploré si on le compare aux autres métaux comme le cuivre, le plomb, l’or, etc. Au début des années 1970, quand les prospecteurs ont découvert au Canada les gisements de Key Lake et Cluff Lake, ils n’ont pas compris qu’ils ouvraient une nouvelle classe de gisements à laquelle personne n’avait pensé auparavant : les gisements d’uranium liés aux discordances (c’est-à-dire formés à la base de bassins sédimentaires reposant sur un socle cristallin), dont le potentiel au Canada et en Australie dépasse six cent mille tonnes, et qui sont particulièrement riches, comme ceux de McArthur et Cigar Lake. Et on n’imaginait pas non plus qu’un gisement aussi monstrueux qu’Olympic Dam (Australie), avec ses réserves de 1,3 million de tonnes d’uranium à 80 dollars/kg pût exister…

Par ailleurs, les méthodes d’exploitation ont profondément évolué. Le lessivage in situ, c’est-à-dire par sondages, sans excavation minière, est devenu la méthode la plus utilisée dans le monde (45 % de la production en 2012). Elle a même permis de reprendre l’extraction de l’uranium dans des mines qui avaient été fermées parce que non rentables avec les méthodes minières traditionnelles.

La prospection des gisements d’uranium ainsi que leur exploitation s’améliorent donc sans cesse, et il ne serait pas raisonnable de croire que les valeurs actuelles des ressources soient la limite ultime des ressources exploitables. L’exemple des hydrocarbures nous invite à beaucoup plus d’optimisme.

En effet, qui aurait pensé, il y a vingt ans, qu’on irait chercher l’huile et le gaz dans les roches mères et non plus seulement après leur migration dans les réservoirs ? Et qui aurait prédit que les États-Unis deviendraient autosuffisants et même exportateurs d’hydrocarbures et que, selon l’avis de nombreux géologues américains, ces nouvelles réserves alimenteraient le pays pendant une centaine d’années ?

Le niveau actuel des ressources en uranium n’est pas totalement défini, car il est lié d’une part aux techniques actuelles de prospection et d’exploitation, et d’autre part au prix de l’uranium. Il reste que la capacité de l’industrie minière à satisfaire les besoins en combustible des réacteurs dépendra essentiellement du niveau de ses investissements. Si ces derniers ne suivent pas suffisamment rapidement, il est possible que des tensions se produisent sur les prix au milieu du siècle. C’est pourquoi il serait prudent de développer la technologie des réacteurs à neutrons rapides pour utiliser les stocks d’uranium appauvri et assurer l’avenir en cas de besoin.

L’énergie nucléaire est une énergie propre quand elle fonctionne bien. Elle produit de l’électricité en base sans émissions de gaz à effet de serre. Avec les réacteurs de quatrième génération, elle deviendra économiquement durable.

Illustration : deux mineurs traversent une galerie du gisement d’uranium de Cigar Lake, le deuxième plus grand gisement d’uranium à haute teneur dans le monde. Découvert en 1981, il est localisé dans le nord de la province de Saskatchewan (dans l’ouest du Canada) et s’étend sur près de deux kilomètres, à 500 mètres sous terre (© Cameco)

À propos de l'auteur

Bernard Poty

Bernard Poty est ingénieur-géologue ENSG et directeur de recherche honoraire au CNRS. Il fut directeur du Centre de Recherches sur la Géologie de l’Uranium (CREGU).

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